La décision avait été prise comme une évidence. Même si Avalon n'avait pas vécu la moitié de ce qui leur été arrivé, elle avait très vite compris à quel point le Cénacle était nocif pour les gens de leur espèce. Le délitement qu'elle ressentait depuis que Cúchulainn avait été implanté en elle faisait presque totalement partie de son être à présent. Ce sentiment de s'effacer petit à petit et de se sentir diminué semblait faire totalement partie de sa vie. Une chose qu'elle trouvait être un avantage était le fait qu'elle était mortelle et ainsi, ne ressentirait pas sa propre existence s'effacer pendant des siècles et des siècles jusqu'à disparaitre sans que personne ne la remarque. De toute façon, depuis qu'ils avaient pris la décision de récupérer des artefacts au Cénacle, Avalon estimait qu'il n'y aurait que deux fins possibles : soit, ils mourraient tous, exécutés entant que Dieux dangereux et incontrôlables, ou alors ils auraient les artefacts. C'était le genre de situation où il n'y avait pas de demi-mesures. Ou bien ils réussissaient ou bien ils échouaient et l'échec portait avec lui des conséquences graves, voire permanentes. Mais en voyant ce qu'ils avaient fait à Merrill, la jeune fille se disait qu'ils ne pouvaient plus vraiment faire pire et chacun des MacTavish semblait se dire la même chose : quoi qui leur arrive quand ils passeraient à l'action, rien ne serait pire que ce qu'ils avaient déjà vécu. Mais la force du désespoir ne garantissait pas tout et leur principale faiblesse était aussi et surtout l'amour qui les liait et qui pouvait, ainsi, signer leur arrêt de mort.
En attendant, il fallait gagner en puissance. Et pour cela, il n'y avait qu'une seule et unique solution : se droguer aux âmes d'humains. Avalon, il y a quelques années, payait cher pour en avoir et avait presque faillit se faire déchiqueter par l'homme pâle en échange de ses dettes. Le souvenir encore tenace du donjon sentant le sang et la mort, la course effrénée dans Last End pour échapper à la mort, l'impression qu'elle allait vraiment finir par se faire tuer et l'idée que peut être elle n'avait pas envie d'en finir avec son existence... Tout cela lui donnait des vertiges et l'envie de s'enterrer mille lieux sous terre de honte. Ce n'était que quand elle avait été si près de mourir qu'elle s'était rendue compte qu'elle voulait quand même vivre. Une version plus sadique de l'histoire, de celles qu'on trouvait dans les livres des frères Grimm mais en version originale, se terminait dans le sang et les larmes, avec une morale du type : ne criez pas au loup ou assumez vos actions. Car finalement, la réalité était rarement réécrite avec une fin plus douce et plus chrétienne.
Cette après-midi, Garrett et Avalon avait décidé de faire du repérage au marché des trolls. Avalon se souvenait de quelques-uns de ses contacts de l'époque et ils ne voulaient pas encore se déplacer en horde de Dieux celtiques tout en posant des questions gênantes. Ils pourraient alerter le Cénacle qui aurait tôt fait de venir fourrer son nez dans leurs affaires. Avalon avait un manteau épais pour contrer les vents frais de mars qui balayaient souvent la ville. Ses cheveux roux se dégageaient de son bonnet et elle essayait de cacher sa personne derrière le col de sa chemise. Elle n'avait pas été connue pour son comportement impeccable et irréprochable dans le coin. Si ses connaissances en matière de drogue magique étaient utiles aujourd'hui, ce n'était pas par pure intelligence qu'elle les avait obtenus et si à l'époque, elle s'en foutait, aujourd'hui elle avait l'impression de mettre en cause le peu de réputation qu'elle avait réussi à construire.
Dans la rue, elle avait l'impression étrange que leur mission était inscrite en fluorescent sur leurs fronts et qu'un simple coup d'œil dans leur direction suffisait pour voir qu'ils étaient louches. Pour exorciser cette impression, elle se mit à parler à voix basse à Garrett. « Il y a un troll un peu bizarre, il a des grosses cicatrices sur le cou et il porte toujours un chapeau... Il était super flippant mais j'ai entendu dire qu'il avait des gros stocks d'âmes humaines. Par contre je ne sais pas où il les obtient ni comment... Je sais même pas si il est toujours là. » dit-elle en prenant soin d'analyser avec détail l'apparence du trottoir, histoire d'éviter les yeux de Lug. Soudainement, il était incroyablement difficile de marcher normalement et de regarder devant soi normalement. Consciente de son langage corporel et de son inconfort manifeste, elle avait perdu toute notion de mouvement instinctif et baladait ses yeux entre le sol et les maisons sur le bord du trottoir. Elle devait doublement se concentrer : pour paraitre normale et pas du tout gênée et aussi pour se préparer à leur mission de reconnaissance. Autant dire que ce n'était pas une sortie agréable en famille pour Avalon.
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