La journée s'écoule aussi lentement que la neige qui tombe paresseusement au dehors. Dans un fauteuil contre la fenêtre, couverture sur ton corps amaigris, Merrill, tu regardes sans voir la lente valse des flocons de décembre qui se déroule devant tes yeux.
Cela fait plus d'un mois que tu es là, dans ta chambre. A n'en pas sortir. Sauf lorsqu'Erwan vient transporter ce qu'il reste de toi jusqu'à la salle de bain pour faire ta toilette. Le reste du temps, tu es cloîtrée. La nuit, tes cauchemars réveillent la maison, peut-être même les voisins. Il n'y a que la présence de Garrett qui, se glissant dans le lit pour te serrer dans ses bras, apaise tes pleurs et tes hurlements. La journée, épuisée d'un sommeil qui n'en est pas un, tu restes dans ce grand fauteuil, tes yeux cernés fixant le dehors d'un air vide. Ils sont fades, cernés, plus sombres qu'ils ne l'ont jamais été.
Cela fait plus d'un mois que tu as abandonné. Baissé les bras. Brisée.
Tu n'oses même plus regarder quiconque dans les yeux. Ni Garrett, ni Erwan. Et encore moins Avalon. Ta douce Avalon, qui viens de temps en temps, brièvement, te rendre visite. La culpabilité te ronges, Merrill. Tu te sens indigne de te laisser dépérir alors qu'à côté, ton enfant est là, tes frères, tes compagnons aussi. Ta famille. Mais tu n'y arrives pas. Tu n'arrives pas à passer au dessus de ce que le Cénacle a fait. Tu n'arrives pas à oublier ces murs de pierres où ricochaient tes cris pendant qu'ils t'ôtaient la vie qui se développait au fond de toi. Cette sensation de créer quelque chose, quelqu'un, tu ne l'avais pas ressentie depuis des millénaires. Étonnement toi, la déesse mère, tu n'as jamais eu qu'un enfant. Cúchulainn. La perte de ce dernier et le deuil infini t'avaient toujours empêché de franchir le pas à nouveau. Puis votre déchéance, la chute, l'oubli. Le délitement. L'éloignement charnel avec ton époux devenu frère. Toutes ces choses qui ont fait que, malgré les siècles, tu n'as jamais enfanté à nouveau.
Puis cet instant d'égarement, parenthèse hors du temps, hors de tout. D'abord le déni et puis, caché quelque part bien au fond, un espoir. Un espoir que tu refusais d'écouter, parce que tu savais dangereux. Mais il est impossible de faire taire l'espoir. Alors tu y a cru, Merrill, le peu de temps que cela a duré. En silence, en secret. En cachette de toi-même, au final. En parler aux autres aurait sans doute changé les choses. Aujourd'hui, c'est trop tard. Et tu t'en veux.
Tu t'en veux, Merrill, d'avoir apporté la froideur au sein de la maison. Le malheur. La colère grandissant de plus belle. Tu as l'impression d'être égoïste, de tout gâcher. Alors comment pourrais tu soutenir leurs regards, en sachant que tes actes et ton attitude les détruits ?
Des coups toqués à la porte te font sursauter. A chaque fois que tu entends ce bruit, tu entends les coups donnés à la porte d'entrée par les agents du Cénacle. Mais cette fois, c'est la voix de ton enfant qui te parviens de l'autre côté de la cloison.
« Merrill ? Je t'ai ramené des pâtes si tu as faim... » Tes paupières lourdes se ferment, comme pour refréner une envie de pleurer. Mais tu ne pleures plus, Merrill. Tu n'y arrives plus. Tes yeux restent désespérément secs. Tu penses un instant ne pas répondre, qu'Avalon n'entre pas. Que tu ne vois pas son visage, ses cheveux flamboyants. Que tu n'entendes plus sa voix. Mais au fond, ce n'est pas ce que tu désires.
« M-merci... » Ta voix est rauque, basse, si différentes de la douceur habituelle, et tu te racles la gorge pour continuer.
« Entre... » Deux mots. Deux mots suffisent à t'épuiser et machinalement, tu serres la couverture autour de toi. Tu n'as pas faim, mais peut être qu'aujourd'hui, pour lui faire plaisir, tu pourrais manger un peu. Tu sais que tu as maigris. Trop. Tu le vois dans les yeux d'Erwan, inquiets, réprobateurs, alors qu'il passe le savon de sa confection sur ta peau chaque jour. Tu n'as jamais été bien en chair, malgré les hanches maternelles, et ta taille a toujours été fine. Délicate. Aujourd'hui, c'est une silhouette décharnée que tu offres au regard, les os saillant et la peau tendue. Joues creuses planquées derrière une cascades de cheveux blonds devenus ternes.
Les pas d'Avalon résonnent dans le silence de la pièce et, dans ta lâcheté, tu gardes les paupières closes.
Fiche codée par NyxBanana