The earth laughs in flowers ~ Georgia

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Resserrant son manteau autour d'elle en verrouillant la porte de la petite boutique, elle en profita pour dégager une mèche de cheveux de son visage et scruter les ténèbres. À peine la fin de l'après-midi et il faisait déjà si sombre... Et froid! Le soleil et la chaleur de ses contrées d'origine lui manquaient parfois, surtout autant au nord, et elle se blottit un peu plus dans sa longue écharpe. Elle avait toujours plus de mal en hiver, une mélancolie qui la prenait malgré les millénaires passés depuis cette vieille histoire. Il aurait tout de même pu l'inviter à boire un verre plutôt que de l'enlever, frère de sa mère ou non, ou au moins demander l'avis de la génitrice en question. À quelles extrémités il avait fallu arriver pour qu'enfin on accepte de l'écouter, et elle n'avait même pas totalement gagné cette bataille en souvenir de laquelle elle se gelait aujourd'hui. En tout cas selon les légendes que les Hommes avaient inventés pour expliquer des phénomènes qu'ils ne pourraient jamais réellement comprendre. Enfonçant un peu plus le bonnet sur son crâne, elle fit un petit signe de la main aux plantes de l'autre côté de la vitrine avant d'adresser un bref sourire à son reflet.

Cette apparence lui plaisait, même si elle était franchement éloignée des archétypes utilisés habituellement. Cette fois elle avait choisi le blond d'Homère et les rondeurs des statuettes primitives. Il y avait eu beaucoup de représentations à travers les siècles puis les millénaires, certaines plus inspirées que d'autres, et lorsqu'elle avait perdu ses adorateurs au profit d'un des dieux uniques, elle avait gardé cette habitude de changement constant, tout en restant quoi qu'il arrive femme. Jeune pousse, fruit mûr, vieille branche en passant par tous les intermédiaires, regardant le monde qu'elle avait vu naître grandir. Y compris dans les lointaines contrées de ce qu'elle avait un jour connu sous le nom de Britannia, à une ère où la magie tenait plus de la science que du mystique. Pourtant elle aimait cette époque, avec le renouveau des mouvements pour la protection de la nature, les agricultures bio et autres nouvelles technologies qui s'étaient greffées au reste avec le temps. Non, le seul problème c'était les hipsters végétariens qui poussaient de partout et qui, sous couvert de vouloir protéger les animaux, ne mangeaient plus que ses créations. Ça se voyait qu'ils n'avaient jamais entendu le long et déchirant cri d'agonie d'une carotte, ou les pleurs des petits-pois qu'on sépare avant de les ébouillanter. Et elle n'évoquerait pas la torture qu'on faisait subir aux céréales pour les réduire en farine bien disciplinée. Mais il fallait bien qu'ils se nourrissent... Pianotant sur son téléphone, elle descendit la rue où elle travaillait et vivait depuis presque un an, se mêlant aux autres passants en vadrouille dans le coin.

Arrivée avec le printemps 2015 pour rester plus discrète, elle n'avait pas eu trop de mal à trouver un travail pour compléter cette toute nouvelle apparence humaine. Qui aurait de toute façon pu se douter que derrière la jeune fleuriste se cachait une déesse multi-millénaire connue pour avoir littéralement créé les saisons, ou potentiellement douée dans le bondage végétal pour les plus pervers. Tournant dans une autre rue, elle entra dans un restaurant d'où elle ressortit quelques minutes plus tard avec un sac, prête à reprendre le chemin de son appartement quand elle s'arrêta net. Personne aux alentours, pas un bruit non plus malgré l'agitation tranquille dans la rue principale plus loin, on ne pouvait pas l'apercevoir de l'intérieur... Elle tendit la main et ses doigts frôlèrent les roses presque fanées sur le buisson dans une caresse toute maternelle et elle les regarda s'épanouir à nouveau avant de les prendre en photo et de poster ça quelque part sur cette merveilleuse invention qu'était Internet. Et elle repartit, pour finalement passer la porte du petit appartement qu'elle louait. Ils étaient loin les vastes temples de marbres, les autels massifs et les bataillons de prêtres et prêtresses, ou même la splendeur éthérée et majestueuse de l'Olympe, les grandes torches étaient devenues de petites guirlandes de fleurs électriques mais c'était chez elle pour le moment et ça lui convenait parfaitement.

Son manteau trouva sa place dans l'armoire avec ses chaussures, son téléphone sur la station de chargement, et elle posa son repas sur le lit qui occupait la moitié de la pièce principale pour s'occuper de ce qui occupait l'autre partie. Fleurs, plantes exotiques, créations étranges et inédites, elles occupaient presque chaque surfaces planes libres et pendaient parfois même du plafond dans une jungle multicolore et odorante. Une attention pour toutes, en terminant évidemment par la jardinière de coquelicots toujours fleuris qu'elle gardait près de la fenêtre. Et juste derrière, quelque part dans les ténèbres qui entouraient la ville chaque nuit, la lande et les forêts où elle aimait se perdre durant ses jours de congés. Vraiment pas ce qu'on pourrait attendre d'une déesse qui avait toujours une certaine puissance, elle n'avait jamais vraiment été du genre à se faire remarquer, sauf peut-être une fois ou deux. Et la dernière fois remontait aux premiers défrichements massifs de l'Amazonie, ça datait un peu. Se détournant de la fenêtre, elle se laissa finalement tomber sur le matelas moelleux et ouvrit la boite d'où s'échappait une merveilleuse odeur de côtes de porc aux épices avec un soupir de plaisir. La viande grillée, toujours une valeur sûre quel que soit le continent ou l'époque. Un clic sur la télécommande pour allumer la télé, un autre pour lancer une série, et reprit les aventures de ces nouveaux dieux là où elle les avait laissés la veille.