L'art de faire appel à sa bonne Fée [Haley]

3 Novembre 2015

Morghann y avait longuement réfléchi... Très longuement avant d'aller déjeuner avec son collègue inspecteur. Il l'aimait bien, et cet autre avait pris pour habitude le cynisme et l'humour macabre de Morghann. Cela faisait près d'une mois qu'il travaillait pour le Metropolitan Police Service, spécialement venu de Londres pour intervenir en renfort auprès de la police locale suite à l'affaire du Réanimateur. Leur section avait quitté Scotland Yard pour baser leur siège à l'Hôtel de Ville. Ça n'était pas aussi parfait que dans leur Quartier Général habituel... mais ça ferait l'affaire dans l'urgence actuelle. Il avait donc déjeuné avec son confrère pour lui insuffler sournoisement l'idée de faire venir le Réanimateur à l’Hôtel de Ville afin que lui faire passer des tests physiques. Il y avait bien des choses étranges dans les meurtres à commencer par les corps disparus, déchiquetés d'une façon assez insoupçonnée... L'identification des victimes n'avait rien d'aisé, même si c'était le travail du sorcier. Il faisait de son mieux pour attribuer à ces personnes leur corps, dissimuler certaines preuves trop compromettantes pour le Secret... Il n'en demeurait pas moins vrai qu'un humain capable de projeter une personne à 25 mètres de distance, ça n'était pas commun. De la télékinésie, la forte surhumaine d'un loup-garou ou d'un vampire. Tant de possibilités, aucune réponse. Il comptait bien en trouver.

L'inspecteur ferait remonter la demande, mais lorsque le médecin légiste posa son regard sur Madame le Maire de Last End, ses prunelles noires s'illuminèrent d'une lueur malicieuse. Mais oui ! Bien sûr ! Un appui de Titania. Parfait. Il remerciait les souvenirs de son jumeau au sujet de Haley. Il saurait comment aborder cette femme aux atouts sympathiques et pourtant tant déborder. Il fallait dire qu'au regard des événements récents, les journalistes la pressait, l'opposition devait sauter sur l'occasion pour la discréditer, sans compter toutes ses obligations habituelles de maire. Néanmoins, il saurait se montrer audacieux. Il s'avança d'un pas assuré : « Madame le Maire ? » l'interpella-t-il une fois à sa hauteur : « Je vous sais très occupée, j'aimerais toutefois m'entretenir avec vous quelques minutes. » Ses perles noires la fixaient. Lui et Howard se ressemblaient beaucoup. Si l'un et l'autre n'avaient pas pris le parti de se distinguer, on n'aurait pu les reconnaître. Howard était rasé de près au contraire de son frère, avait les cheveux longs là où Morghan les portait courts et se paraît d'une canne là où le jumeau cadet était libre de tout handicap physique. Rien toutefois dans leurs trait physique ne pouvait les différencier. C'était assez frappant. « C'est très important et je ferai en sorte de vous libérer rapidement. » ajouta-t-il, grave. Il ne désirait pas déranger plus que nécessaire son emploi du temps.

Il désigna du regard une salle libre où ils pourraient discuter en privé d'un bien lourd sujet, d'un si difficilement camouflable Secret. Ses obsidiennes se laissèrent happer par ces magnifiques yeux verts qui pétillait. Cette femme avait du charme, assurément ! Et puis, brusquement, il réalisa alors : il ne s'était pas présenté.

Il y a de ces jours où l’on se demande pourquoi on a pris la peine de sortir du lit et qu’on aurait mieux fait d’y rester. Aujourd’hui, c’était exactement la pensée qui venait de traverser l’esprit de Haley alors que la tension était palpable dans l’hôtel de ville. Elle l’était depuis un long moment déjà à cause de toute l’affaire entourant le Réanimateur et ils auraient franchement pu se passer des petits malins qui étaient venus s’amuser à faire des graffitis sur leurs murs. Il ne s’agissait pas d’un « Truc » aime « Machin », d’une signature illisible ou d’un classique « Anarchy », mais de dessins vulgaires et grossiers qui n’avaient pas du tout leur place sur la mairie. Tout avait été mis en branle rapidement afin d’effacer le graffiti et de retrouver les coupables, mais le mal était fait. La maire n’allait pas être étonnée de voir cela sur la première page d’un journal le lendemain et que pour une raison mythique, qu’il y ait un lien avec les récents événements. Ils savaient être très imaginatifs et leur capacité à transformer la réalité était surprenante.

Ce petit incident pris en charge, la maire avait été à un meeting pour discuter de points plus habituels, soit d’activités et de budgets. Toutefois, lorsque le budget vint sur la discussion, c’est là que tout s’enflamma et que personne ne fut d’accord. Le ton haussa et contrairement à l’habitude où elle aurait intervenu, elle les laissa parler. Jetant un coup d’œil par la fenêtre, son esprit s’égara un petit instant et repensa à la querelle qu’elle avait eue avec son mari. Pourquoi ne comprenait-il pas que le secret devait rester justement secret? L’histoire ne racontait-elle pas que les humains avaient bien brûlé les sorcières, autant les vraies des fausses, lorsqu’ils avaient eu la suspicion? Que feraient-ils aux fées? Ils les traqueraient et les tueraient? Ou pire encore, leur arracherait les ailes? La reine ne voulait pas y penser. Elle fut sortie de ses inquiétudes lorsqu’un bruit de porte s’ouvrit et que des gens sortirent. C’était la fin de la réunion et elle en avait manqué une bonne partie. Tant pis!

Le reste de la journée serait plus tranquille heureusement. Elle retournerait à son bureau et passerait à travers la pile de contrats et de dossiers en écoutant de la musique. Mais avant ça, elle passa à la cuisine se faire un chocolat chaud et c’est la tasse en main, marchant dans le couloir, qu’elle fut interpelée. Qu’est-ce qu’on lui voulait encore?

Le regard de Haley s’adoucit lorsqu’il se posa sur le Earl et un petit sourire se dessina automatiquement sur ses lèvres. Tiens, qu’est-ce que Howard faisait là? En effet, c’est pour son frère jumeau qu’elle prit Morghann, ne remarquant même pas les différences flagrantes entre les deux. Probablement qu’à un autre moment et avec un meilleur état d’esprit, elle aurait remarqué l'erreur qu’elle faisait. Qu’avait-il à lui dire? Sa curiosité fut piquée et c’est sans hésitation qu’elle lui répondit.

- Oui bien sûr. Pas de problème. Dit-elle gentiment.

La reine entra la première dans la pièce et laissa le sorcier refermer la porte derrière lui. Fermant les yeux, les deux mains sur sa tasse, elle prit une gorgée de son chocolat chaud. C’était définitivement le meilleur moment de sa journée. Elle l’aimait trop! Ce n’était pas comme le café. Ah! Non, ça elle n’y toucherait plus. Le chocolat, toutefois, c’était divin!

- Tu en veux? Demanda-t-elle d’une voix teintée de joie.

Son regard verdoyant s’était posé sur le sorcier et elle souriait. La preuve qu’elle l’aimait bien : elle était prête à partager son chocolat avec lui! Connaissant les « bonnes manières » de la famille Earl et de son probable dégoût de partager quelque chose avec quelqu’un, la fée était même prête à aller lui en chercher un. Mais elle se doutait qu’il refuserait et qu’il voudrait immédiatement s’attaquer à l’élément important.

- Qu’est-ce qui se passe? Demanda-t-elle, soucieuse. De quoi voulais-tu me parler? Je peux t’aider? Ajouta-t-elle.

Si elle pouvait aider un ami, il est certain qu’elle le ferait. La maire croyait qu’il était son ami, du moins.

Oui, bien sûr, pas de problème ? Vraiment ? Morghann en resta figé une ou deux secondes alors que la maire s'en allait dans la pièce qu'il avait désignée. Si facilement ? Il s'était préparé à devoir longuement argumenter pour lui prendre de la sorte son précieux temps, sans prévention, sans rendez-vous et juste.... 'Oui, bien sûr, pas de problème' ? Elle l'avait agréablement surpris. Au moins, ils ne perdraient pas de temps à tergiverser avant de cheminer vers le cœur du sujet. On disait beaucoup sur les faits, beaucoup de ragots et cancans, mais il m'avait jamais entendu qu'elles pouvaient être à ce point surprenantes. Le sorcier marcha dans ses pas et referma soigneusement la porte derrière lui, avant de lui faire à nouveau face. D'ordinaire, c'était la cour qui cédait aux caprices d'une reine, mais celle-ci ne semblait pas posséder ce trait de caractère, ce qui était assez positif car Morghann savait l'être pour deux. « Je vous remercie. » fit-il assez humblement, sous l'étendard d'une famille bien éduquée qui savait prendre un instant pour remercier les autres, même si de façon automatique, et même sans toujours le penser. Avoir le monde à ses pieds lorsqu'on était de l'une des familles fondatrices de Last End était à la fois aisé et complexe. On pouvait jouir d'une aura déjà toute faite mais il s'agissait d'un travail de tout les jours que de devoir l'entretenir et faire en sorte que jamais elle ne se ternisse pas des actes ou paroles déplacés, ou encore des propos manquants. Les remerciements faisaient partie des mots qui pouvaient manquer, par moment, surtout de la part de leur patriarche.

Il s'apprêtait à ouvrir à nouveau la bouche alors qu'il se fit proposer un chocolat chaud. Les prunelles noires de ses yeux s'orientèrent sur la tasse généreusement remplie et délicieusement fumante dont l'odeur parvenait à ses narines et lui faisait terriblement envie. Mais ce ne fut pas la seule chose qui le laissa stoïque d'ailleurs, le tutoiement soudain y était pour quelque chose. Morghann n'avait jamais eu la chance d'aller à la rencontre de Titania par le passé, d'une part parce que sa famille ne laissait que peu un enfant, qui plus est le cadet, entrer trop en profondeur dans les relations avec les autres membres de l'envers. Quand bien même il y eut tout de même droit, la grande majorité du temps, il se défilait, n'aimant guère, enfant, s’appesantir trop longuement à l'écoute de ces échanges barbants. Et d'autre part, il avait quitté Last End il y avait près de vingt ans avant de s'y retrouver suite à une tragédie. Elle lui paraissait bien douce et pour la première fois, les souvenirs enfants de Howard que Morghann avait dérobés, lui venaient en mémoire. Le necromancien contemplait Titania lui offrant soudain tant de qualificatifs positifs. Généreuse, patiente, douce... Une femme extraordinaire à la tête d'un pays extraordinaire. Un instant, il hésita à lui dire qu'il n'était pas Howard, car Titania devait probablement se fourvoyer à l'avoir ainsi tutoyé... Dans un même temps, il se mit à penser qu'elle parlait peut-être ainsi à tout un chacun et qu'il serait presque offensant de sa part de lui rappeler qu'il était le jumeau cadet alors qu'elle l'avait peut-être déjà reconnu. Soit, il patienterait d'avoir plus d'éléments pour trancher sur son identité correctement affichée si elle venait à manquer. La reprendre n'était pas une bonne idée.

« Votre Hôtel de Ville et bien grand, c'est à s'y perdre lorsqu'on ne connaît pas les lieux. Je vous avouerai ne pas avoir encore trouvé la machine à café qui distribue ce genre de trésor. Mais vous qui connaissez bien cette contrée, si vous avez éventuellement un carte qui puisse m'y conduire, je vous en serais gré de m'en honorer. » Ah oui, il voulait bien mettre la main sur cette tasse là et si ça ne tenait qu'à lui, il aurait certainement pris la tasse de ses mains pour partir avec en courant et la savourer, dans un coin, en secret. « J'aurais effectivement besoin de votre concours. Vous êtes une personne d'influence et il me plaît de croire que vous sauriez appuyer une demande que j'ai préalablement faite remonter par l'un de mes collègues de Scotland Yard. » Voilà qui dévoilerait son identité à moins que Tiania ignore quelles étaient les fonctions respectives des deux jumeaux. « Vous avez la gentillesse de nous accueillir sous votre toit pour les besoins de l'enquête mais j'aimerais que vous fassiez venir un nouvel hôte : le réanimateur lui-même. J'aimerais pouvoir lui faire passer quelques tests... Il est peut-être temps pour le Cénacle de savoir ce qu'est exactement Anthony Evans. J'ai autopsié plusieurs des victimes et... Je peine véritablement à donner un côté rationnel à tout cela, même si je m'y efforce pour préserver notre Secret. Mais vous serez probablement d'accord avec moi pour dire qu'il est difficile de faire passer pour normal... Une projection sur plus de vingt mètres d'un corps à la seule force humaine. Loup-garou, vampire, sorcier... J'aimerais savoir et même plus encore. »

Il marqua une pause, les yeux hypnotisées par la tasse de chocolat. Ne pas lui voler... Il ne devait pas lui voler. « Mais j'ai peur que ma demande soit refusée. Vous comprenez, il s'agit d'un dangereux individu. Le sortir de son asile sous-surveillance n'est pas dans les plans d'une police trop craintive. J'ai besoin de le voir, pour faire avancer mon argumentaire et tenter de prouver à des gens ignorants qui n'attendent que de la rationalité, que cette affaire est parfaitement... Dénuée de surnaturel. » Ça n'était pas une mince affaire, mais beaucoup seraient près à le croire car le surnaturel faisait peur et personne n'avait envie d'admettre que cela puisse exister.

Le chocolat, c’était purement divin. Existait-il quelque chose de plus délicieux? Haley savoura plaisamment la gorgée du liquide chaud, concentra toutes ses pensées sur ce pur moment de bonheur et détendit ses muscles stressés par le travail. Son regard se posa sur Morghann et son sourire, qui fendait déjà son visage, s’élargit davantage en voyant apparaître des étoiles dans son regard. Tiens donc? Sa proposition l’intéressait-elle? Il semblait que c’était effectivement le cas, bien qu’elle ait pourtant cru que son ami aurait refusé une telle offre.

- Je n’ai pas de carte malheureusement afin de pouvoir y apposer une croix au trait rouge sur le trésor. Mais je crois pouvoir t’offrir mieux encore : un guide. Laisse-moi le plaisir de partager un chocolat chaud avec toi. Prononça-t-elle.

Elle lui offrit en bonus un clin d’œil. Pour un ami, Titania avait toujours du temps à accorder et si un chocolat chaud lui ferait bonheur, c’est avec plaisir qu’elle lui en offrirait un. Mais avant de retourner à la cafétéria, l’Earl exposa la raison de sa venue et la fée leva un sourcil surpris. Elle était habituée qu’on vienne à elle afin qu’elle use de son influence de maire et qu’elle fasse avancer un projet qui tenait fortement à cœur. Mais qu’on emmène le réanimateur dans l’hôtel de ville pour lui faire passer des tests, ça, elle ne s’y en attendait pas du tout. L’étonnement teinta ses traits pendant de longues secondes et les émeraudes lâchèrent enfin le sorcier pour se concentrer à nouveau sur la tasse qu’elle porta à ses lèvres.

- Ce n’est pas une mince affaire que tu me demandes là. Marqua-t-elle tout bas.

Tout ce qui touchait de près ou de loin à cet Anthony Evans était compliqué. Tout était contrôlé et la panique pouvait prendre pour un rien. Peut-être pas à tort suite à ce qui s’était passé avec ce mystérieux personnage. Les autorités avaient si peu d’informations le concernant et le secret risquait d’éclater au grand jour si rien n’était fait. Mais s’il pouvait faire quelque chose, Titania voulait bien croire que celui qu’elle prenait pour Howard lui disait la vérité.

- Poursuivons cette discussion dans mon bureau, tu veux bien? Demanda-t-elle.

Mais le refus n’était pas une option puisque la maire se dirigeait déjà vers la sortie et qu’elle ouvrait la porte. Mais avant de passer à son bureau, ses pas les menèrent d’abord à la cafétéria où quelques minutes plus tard, elle lui tendit une tasse de chocolat chaud.

- Promesse dite, promesse faite. Mais attention à ne pas te brûler. L’avertit-elle d’une voix taquine.

Du doigt, la reine lui proposa, si tel était son désir, d’ajouter des guimauves en désignant le sac non loin. Cette première mission remplie, elle l’invita à la suivre à travers les couloirs et lui ouvrit finalement la porte du bureau de la maire. Si on oubliait la grande fenêtre qui trônait d’un côté de même que la végétation luxuriante dominant l’endroit, il s’agissait d’un bureau tout ce qu’il y avait de plus normal.

- Tu crois vraiment pouvoir obtenir des informations concrètes si tu pouvais voir le réanimateur? demanda-t-elle d’une voix curieuse.

Haley déposa sa tasse sur son bureau et vint s’installer à son fauteuil. Elle invita son ami à s’asseoir également et c’est alors qu’une étrange question lui traversa l’esprit.

- Tiens? Tu as fait guérir ta jambe?

La dernière fois qu’elle avait vu Howard, il avait encore besoin d’une canne pour se déplacer. C’est maintenant que la fée remarquait son absence et le fait que le sorcier n’avait pas eu de souci à se déplacer dans son établissement.

Morghann faisait un bien piètre Earl avec ainsi des étoiles dans les yeux pour... Un chocolat chaud. Dans un même temps, celui d'Haley sentait si bon et lui faisait tellement envie. Entre deux cadavres massacrés par le Réanimateur, cela semblait être un cadeau de Dieu, que même lui, sorcier et pactisant du Diable, convoitait avidement. Titania avait également la bonté de lui proposer : comment était-il censé résister ? Aussi lorsqu'elle lui alloua la possibilité de lui servir de guide jusqu'aux terres du fameux trésor, le nécromancien répondit d'un sourire remplis d'une gratitude certaine. Il allait pouvoir obtenir son bien vénéré, son chocolat au lait. Il l'imaginait déjà tout fumant, une guimauve blanche flottant à la surface comme un iceberg bienheureux au beau milieu d'un océan brun. Le retour au sujet du Réanimateur le conduisit à se mordre la lèvre inférieure. Il l'entendait : ça n'était pas une mince affaire, raison pour laquelle il lui demandait son appui à elle. Il ne l'avait obtenu de son père, peut-être l'obtiendrait-il de la reine de fées. Elle avait une toute autre force, une toute autre ampleur au sein de Last End. Il n'aurait pu le demander à personne d'autre pour être honnête. Elle préféra se rendre à son bureau, chose contre laquelle il ne s'opposa pas : « Je suis votre obligé. » répondit-il avec toute la noblesse de son éducation avant de lui emboîter le pas, bénissant ce fabuleux crochet le dotant en chemin d'une divine tasse fumante et d'une guimauve.

« Merci... Je reviendrai plus d'une fois ici, je peux vous l'assurer. » Mentalement, il notait la position du lieu, les différentes façons d'y accéder et assurément, il reviendrait se fournir par ici d'instants de douceur. A nouveau, il marcha dans ses pas jusqu'à un spacieux bureau, très lumineux et très verdoyant. « Voici donc le secret de votre sourire. Vous travaillez dans un endroit plein de vie. Ça n'a rien à voir avec l'ambiance glauque d'une morgue. » railla-t-il sans que son propos ne soit dénué de vérités. C'était même très littéral. « Ou d'une scène de crime... » Une scène de crime pouvait être également lumineuse et verdoyante... Mais pour être honnête, c'était davantage plein de morts que plein de vie. Et plein de sang souvent. Morghann s'apprêtait à répondre à sa question concernant le Réanimateur mais elle l'interrogea sur l'état de sa jambe, mettant définitivement un terme à la possibilité qu'elle l'ait correctement reconnu. « Je... » Et bien pour avouer la vérité, ça allait être plus complexe à présent. « Je suis confus de cette méprise, votre Altesse. Je ne suis pas Howard. Je suis Morghann, son cadet gémellaire. » Voilà qui était fait. « J'ai douté d'une correcte identification, mais je n'osais vous froisser à vous reprendre si vous m'aviez parfaitement reconnu. Je suis vraiment navré. » Le nécromancien baissa les yeux dans son chocolat, pensif avant de reprendre : « Si cela peut vous rassurer, Howard cautionne mon entreprise. Je ne lui ai pas encore parler de la demande que je vous fais à ce jour, mais je suis certain que s'il était venu à me recommander le soutien d'une personne pour ce projet, c'est votre nom qu'il m'aurait indiqué. » Son propos pouvait sembler pompeux... Il n'empêchait que c'était absolument vrai. « Vous le fascinez. »

Petit sourire en coin, avant de reprendre une mine sombre, presque jalouse. Il apaisa sa possessivité gémellaire et reprit le fil de la discussion. « Il n'a hélas pas pu soigner sa jambe. Sa blessure est réputée incurable, sauf à avoir le soutien guérisseur d'un ange et... Pour être honnête, le jour où j'arriverai à traîner mon frère jusque devant un ange, c'est que je lui aurais fait boire une quantité astronomique d'alcool ou manger un régiment d'oursons guimauve enrobés de chocolat. » Il haussa les épaules, ajoutant : « Si tant est que je parvienne à trouver un ange qui accepte de guérir un homme dont les ancêtres ont pactisé avec un Démon pour obtenir une certaine puissance magique. » Bref, ça rendait le scénario pleinement impossible. « Mais j'y travaille... Trouver une autre façon de soigner cette morsure. » La scène atroce où son frère avait perdu sa jambe lui revenait en flash, directement au visage. Il ferma les yeux, frotta l'arrête de son nez, visiblement pas dans son assiette et but une gorgée de son chocolat chaud pour reprendre contenance. Il y trouva surtout du réconfort. « Je me dit qu'il doit bien y avoir une potion, ou que sais-je qui puisse lever ce handicap. » Un sourire triste et puis, il changea rapidement de sujet, revenant au terme initial : le Réanimateur.

« Je ne saurais vous assurer que je puisse obtenir des informations concrètes. Je rendrais un rapport à ceux qui ne sont pas de l'envers pour tâcher de leur faire comprendre que rien n'est anormal dans cette affaire. Je ne parle pas de leur fournir des vérités : ils ne veulent pas l'entendre et le Cénacle le refuse. Voici une belle concordance. Les données qui seront dans mon rapport ne seront donc pas nécessairement vraies. Ce que je veux c'est le rencontrer pour faire croire que mes informations sont bonnes et soulager la paroi fragile de notre Secret. » Il marqua une pause, reprenant une gorgée de chocolat chaud dans lequel la guimauve avait presque fondu, pour son plus grand bonheur. « Concernant ce qu'il pourrait me dire de concret concernant l'envers.... » Il haussa à nouveau les épaules en poussant un soupir. « Savez-vous comment on nomme les nécromanciens noirs, votre Altesse ? » Il lui laissa le temps de réfléchir, mais pas de répondre : « Les Réanimateurs. La nécromancie noire est connue, entre autres, pour sa capacité à relever les morts, mouvoir les cadavres, les réanimer. Notre famille pratique également la nécromancie blanche, celle des soins et de la protection... Mais ne trouvez-vous pas étrange qu'il se soit nommé le Réanimateur jusqu'au jour de son procès, tant que la presse connaît d'avantage ce pseudonyme auto-accordé que sa véritable identité ? Je m'interroge alors. Peut-être est-il un nécromancien et que lui et moi pourrons nous comprendre mais... J'en doute. Je veux dire... Si les victimes avaient été détruites par nécromancie, je l'aurai reconnu. » Il connaissait un bon nombre de sort dans le domaine, et chacun laissait des marques bien précises. Ce qui avait été fait n'était nullement un acte nécromancien. « J'ai une autre hypothèse toutefois... Plus probable et cependant aussi potentiellement fausse que la première. » Ses noires prunelles s'évadèrent au possible : « Peut-être que par ce titre, il cherche... A nous appeler. Nous, les nécromanciens, les Earl. Je suis médecin légiste et fils du patriarche de ma famille. Je suis probablement le mieux placé dans la hiérarchie familiale et au sein de Scotland Yard pour me présenter devant lui, de façon quasi anodine, et recueillir son message s'il souhaite m'en délivrer. »

La surprise avait teinté les deux grandes émeraudes qui fixaient intensément Morghann. Haley posa instinctivement une main pour couvrir sa bouche suite à cette méprise. Comment avait-elle pu se tromper de la sorte? Elle cligna des paupières et lui offrit un sourire gêné, venant joindre ses deux mains ensemble par la suite.

- Oh! Mille pardons! S’exclama-t-elle. Où avais-je la tête? Tu ne ressembles pas tant à Howard. Oui, enfin, un peu. Mais quand même, ce n’est pas une raison. Ce n’est pas toi qui dois être navré. Poursuivit-elle.

Howard et Morghann étaient jumeaux, mais maintenant que la maire ne prenait plus pour acquis qu’il s’agissait de l’ainé, les différences étaient flagrantes. La coupe de cheveux n’était pas la même, le visage n’était pas identique et la façon qu’il la regardait était différente. Le simple fait qu’il n’ait pas eu de difficulté à se déplacer aurait dû lui donner la puce à l’oreille, mais avec le surnaturel, il paraissait possible pour la fée qu’il ait trouvé un miracle. Mais par-dessus tout, il avait accepté la tasse de chocolat chaud tout bonnement tandis que le neurologue aurait certainement refusé. Toutefois, ce n’est pas parce qu’elle avait le cadet des Earl face à elle qu’elle allait changer sa façon de parler. Après tout, Titania tutoyait tout le monde, ou presque, et Morghann n’allait pas échapper à cette règle.

La dame n’avait pas pu cacher son petit sourire lorsque le sorcier lui mentionna que son frère était fasciné par elle. Son expression s’était ensuite assombrie de savoir qu’il était toujours blessé et qu’il n’y avait rien à faire dans sa situation puisqu’une intervention divine était hors de question. Quoique peut-être qu’il finirait par changer d’avis un de ces jours, les miracles n’existaient-ils pas? Elle acquiesça d’un signe de tête et gardait confiance elle aussi qu’il avait un autre moyen de soigner Howard.

La reine concentra son attention sur Morghann. Après tout, c’était lui qui était là et non pas son frère. Se relevant de son fauteuil, elle se dirigea vers lui et lui tendit sa main.

- Enchantée de faire ta connaissance, Morghann. Tu peux m’appeler Haley. Surtout ici, dans mon bureau. Prononça-t-elle. Elle avait un sourire accueillant aux lèvres. Tu sembles tout connaître de moi, j’ai l’impression? On ne s’est jamais rencontré pourtant, je me trompe? S’enquit-elle ensuite.

Il lui semblait qu’elle ne l’avait jamais rencontré et elle n’avait pas pour habitude d’oublier ses nouvelles connaissances. Peut-être était-ce son frère, ou sa famille, qui lui avait parlé d’elle? C’était l’hypothèse qui lui paraissait la plus plausible puisqu’elle ignorait que le sorcier s’était emparé des souvenirs de son jumeau.

Ensuite, la reine avait repris sa place derrière son bureau. Elle écouta donc sa requête et les explications quant à sa demande de faire venir le réanimateur à l’hôtel de ville pour Scotland Yard. Elle avait hoché négativement de la tête : elle ne savait pas comment on appelait les nécromanciens noirs. Et si ce que l’Earl avançait était vrai, c’était des plus inquiétants. La fée ne s’y connaissait pas énormément en nécromancie et devait se fier à l’expertise du sorcier. Était-il un homme de confiance? La question ne se posait même pas puisqu’elle ne croyait pas qu’il puisse avoir de mauvaises intentions. Et si Howard le supportait dans ses démarches…

- Il va falloir prendre toutes les dispositions nécessaires pour qu’une telle rencontre se fasse et ce, en toute sécurité. Anthony Evans est un homme potentiellement très dangereux. Si ça tourne à la catastrophe, c’est sur moi que ça retombera. Avança-t-elle sérieusement.

Haley fit une courte pause et en profita pour porter sa boisson chocolatée à ses lèvres. Son regard se posa ensuite sur Morghann.

- Cette intervention pourra être utile pour rassurer la population et leur assurer que des mesures sont prises pour maîtriser la situation. Je crois que je pourrais m’arranger pour qu’une rencontre se fasse et ce le plus rapidement possible. En échange, je veux connaître toutes les informations que tu auras recueillies. Prononça-t-elle.

[Désooooooolée pour le long délai! Sauras-tu me pardonner? Sad

]

[Bien sûr que je te pardonne voyons ♥]

De toutes évidences, la révélation lui faisait de l'effet et Morghann s'en mordit la lèvre inférieure dans un geste coupable. Il lui rendit un sourire, en coin, se voulant d'avantage rassurant que gêné : « J'admire Howard. Ça n'a rien d'une insulte, c'est même plutôt flatteur. Je ne vous en veux nullement, votre altesse. » Il faisait bien plus qu'admirer Howard, en un sens, mais ça n'était pas le sujet présentement. Ils avaient toujours été confondus, c'était une habitude, et s'il devait en tenir rigueur à tout ceux qui en faisait l'erreur, il aurait une bonne partie de son entourage à dos. Dans tous les cas, il pouvait à présent l'appeler Haley. Ça n'entrait que peu dans les protocoles familiaux... Mais Morghann était le genre d'enfant qui n'avait rien à faire des protocoles familiaux. Et puis, il ne l'appellerait ainsi qu'en privé. Même s'il ne la connaissait pas vraiment. Il ne la rencontrait que pour le première fois et ça n'avait pas échappé à la reine des fées. Il ne répondit toutefois pas à sa question, pas immédiatement, le temps de trouver de quoi le sortir de cet embarras. Il ne pouvait clairement pas lui dire qu'il partageait les souvenirs d'Howard. Les Earl avaient leurs secrets et il étaient fort habiles pour les préserver. Le verdict tomba, et le cadet des fils de Pryam ne s'en sentait que plus soulagé à cette idée. Il allait probablement pouvoir rencontrer celui qu'on nommait le Réanimateur. Ou plutôt, celui qui s'était nommé de la sorte.

« Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que ça ne vire pas à la catastrophe. » Étant l'un des héritier d'une puissante famille de sorciers, il n'avait que peu de crainte quant à la tournure de cet entretien. Le danger existait, mais il se savait capable de terrasser quelques créatures pouvant se dresser sur son chemin. « Bien entendu, je vous aviserai des propos qu'il tiendra. » Du moins ceux qu'il pourrait lui transmettre. Il n'avait pas le moindre idée du contenu de leur entretien, il savait toutefois d'ores et déjà qu'il ne saurait lui dire quoique ce soit qui impacterait beaucoup trop sa famille. Ou puisse nuire à Howard. Si son aîné avait suffisamment confiance en Haley, il se ferait porte-parole désigné mais... Sans nul doute, ce qu'il dirait à Titania passerait par un filtre : son frère. Il se mordit la lèvre inférieure, à nouveau, coupable, avant d'ajouter : « En dehors de ce qui pourrait concerner ma famille. Je vous ai dit qu'il était possible qu'il essaie d'appeler les Earl pour transmettre un message. Ce qui concerne ma famille doit rester dans ma famille, Haley. J'espère que vous comprendrez mes motivations. » Morghann ne se permettrait pas de demander à la reine ce qui bloquait dans son propre couple. C'était son business et sa propre famille menait le sien. « Pour le reste, soyez assurée que vous transmettrai ses mots. Mes suppositions et mon éclairage également si vous le désirez. » Si elles avaient de la valeur à ses yeux. « Il me plaira d'entendre votre avis sur l'entretien que j'aurai avec lui. » Ses suppositions, son éclairage, ne seraient pas un luxe. L'affaire du Réanimateur était un vrai brouillard et lier les idées pourraient leur permettre d'émerger, il l'espérait. Il reprit une gorgée de son chocolat chaud et lui adressa un sourire, plus doux que ceux que pouvaient adresser tous les autres Earl. « Car je suis persuadé qu'une reine telle que vous saura avoir un raisonnement juste devant l'imbroglio. Bien des rois devraient s'inspirer de vous et fort heureusement, vous avez donné l'espoir à mon frère qu'un monarque pouvait être bon. » Plus sombrement, il ajouta : « Il en aura besoin. » Lorsque Pryam tombera. Il poussa un soupir et haussa les épaules.

« C'est Howard qui m'a parlé de vous. De vos rencontres autrefois. Vous comprendrez qu'il ne m'ait dit que du bien. Voilà qui a probablement influencé mon approche tout à l'heure. » Il l'avait prise pour une familière, une personne qu'il connaissait déjà, c'était un peu vrai, même si pas personnellement. Il l'avait vu interagir avec l'enfant qu'avait été son aîné et il ne pouvait s'empêcher de songer, malgré lui, qu'elle était une personne bonne. Comme si la noirceur ne pouvait exister en son cœur. Peut-être était-ce faux, mais pour l'heure, il la trouvait blanche comme neige. Et puis, il demanda finalement : « Dites-moi... Ne faites-vous pas confiance au Cénacle ? Je veux dire... je transmettrai à mon père mon échange avec le Réanimateur. Mais si vous m'en demandez personnellement le contenu, c'est que... Vous croyez que les informations ne redescendront pas ? Du moins... Pas intégralement ? » Le ton n'était pas accusateur, il était au contraire très curieux de ce qu'elle pourrait en penser. Pryam étant à la tête du Cénacle et les Earl étant fort réputés pour leurs secrets, il s'interrogeait sur le lien que Titania pourrait avoir avec Pryam.

Ouf! Elle ne l’avait pas blessé et Morghann ne lui en voulait pas. Haley le fixa toutefois durant quelques secondes, détaillant ses traits, afin de s’assurer qu’il ne disait pas cela simplement pour lui faire plaisir. Si elle l’avait offensée, elle tenait à le savoir. Mais nul indice ne lui indiqua qu’il lui mentait ou qu’il lui cachait quelque chose. Peut-être était-il bon acteur, mais elle ne le connaissait pas suffisamment pour le savoir et elle préfèrait croire qu’il était sincère. Après tout, elle trouvait déjà sympathique. Au lieu de prononcer quoi que ce soit, la fée lui répondit d’un sourire chaleureux.

Replongeant dans son tendre et merveilleux chocolat, elle écouta sans le moindre stress la promesse que lui donnait le sorcier quant à s’assurer que la situation serait maîtrisée concernant le terrible réanimateur. C’était une idée angoissante que de ne pas savoir qui il était réellement et ce qu’il désirait, s’il avait en fait des intentions précises derrière ses actions. Une fois libéré, rien ne garantissait la paix et c’était peut-être la mauvaise décision qui causerait la fin du monde. C’était fort exagéré, mais la reine n’y pensait plus et savourait le liquide sucré et réconfortant. Heureusement que peu de gens connaissaient ce point faible de la maire.

- Et pour cela, je vous en remercie déjà. Murmura-t-elle lentement.

Elle reporta son attention sur l’Earl, le couvrant des émeraudes qui brillait d’une satisfaction de savoir qu’on ne la garderait pas dans l’ignorance. Elle était une femme curieuse, toujours avide de connaissances et de vérité. Elle n’aimait pas être tenue dans l’ignorance et préférait prendre les moyens pour ne pas le rester. Malheureusement, il y avait tant de secrets chez cette famille de sorciers.

- Bien évidemment. Ce qui concerne les Earl reste chez les Earl. Je comprends tout à fait. Et pour le reste, j’apprécierais énormément. Autant pour le rôle de maire que j’ai, que pour celui de reine, mais aussi simplement pour la citoyenne de Last End que je suis. Je suis persuadée qu’à deux, nous pourrons mettre un peu de lumière dans toute cette histoire. Ou au moins, nous aurons essayé. Répondit-elle sans hésiter.

L’homme sut lui arracher un sourire. C’était certain, il connaissait l’art de la parole. La fée aimait Howard et il était également certain qu’elle lui souhaitait que de bonnes choses. Depuis leur première rencontre, elle s’était attachée à cet enfant qui n’en avait jamais été un et dont tant de responsabilités reposaient sur ses épaules. Qu’en était-il du jumeau? En tout cas, elle désirait faire plus ample connaissance.

Howard exagère. Je ne suis certainement pas aussi bonne qu’il l’entend. Ajouta-t-elle humblement.

Une nouvelle gorgée chocolatée et elle effaça l’ainé des Earl de ses pensées.

- Tu sais, Morghann… Ce n’est pas une question d’avoir confiance ou non au Cénacle. Je n’y serais pas aussi impliquée si je ne le considèrerais pas important et si je n’avais pas confiance en ses membres. Mais…

Bien sûr, il y avait un “mais”. Si elle croyait que les informations ne redescendaient pas toutes, ce ne serait pas sage de le mentionner au fils de Pryam, n’est-ce pas? Elle posa sa tasse sur son bureau et plongea son regard dans le sien.

- On n’est jamais mieux servi que par soi-même. Si je pouvais, j’irais chercher l’information moi-même. Prononça-t-elle sérieusement.

Ce n’était pas une reine qui aimait tant déléguer. Elle aimait prendre les choses en main et les faire par elle-même. Toutefois, elle ne refusait pas toute aide lorsque celle-ci était appropriée.

Haley comprenait sa réticence à parler de ce qui pourrait concerner sa famille. S'il en était soulagé, il en demeurait triste paradoxalement. Personne n'osait percer les secrets des Earls, pas même de s'approcher d'eux, de les comprendre. A juste titre si on en jugeait par l'implacable père qui trônait au Cénacle. Un instant, la pensée lui vint à l'esprit que de discuter avec elle lui aurait donné un avis probablement différent de ce qu'il pourrait entendre de son père ou de son frère jumeau. Que cet avis singulier saurait d'avantage l'éclairer sur le chemin ténébreux qu'il s’appétait à emprunter. Il se ravisa toutefois, préférant l'honneur de sa famille à la naissance d'un quelconque lien d'amitié. Il n'y avait pas la place pour cela chez les nécromanciens de Last End. Il n'y avait pas de place pour grand chose, honnêtement, si ce n'était le pouvoir et la trahison. Triste perspective et c'était à regrets qu'il laissait s'évanouir son désir de se confier à elle. Lentement, cela persistait en une longue agonie, dont les sanglots longs tels des violons, alimentait son être d'une mélancolie froide et désenchantée.

« Je l'espère » fit-il gravement. L'affaire du Réanimateur serait peut-être alors définitivement derrière eux, mais si dans son sillage cet homme entraînait d'autres dans la rébellion, qui contre le Cénacle et le secret se révoltaient... Car il y avait cette hypothèse aussi, qui, en lui, avait germé, comme une mauvaise herbe au beau milieu d'un jardin trop bien entretenu. Cela le dérangeait. La révélation de leur existence comme une pandémie mettrait la planète à feu et à sang. Qu'avait été jadis l'inquisition, si ce n'était des arrestations à tord et à travers et des meurtres au nom de Dieu par peur de la différence ? Il haïssait cette idée et ne la laisserait éclore en aucune manière. Il n'avait pas l'aval de son père pour rencontrer le Réanimateur. Il en faisait fi, plus engagé dans une cause que dans on obéissance aveugle. « Voilà qui nous feras une occasion de nous revoir. Promis, cette fois-ci, je ne vous kidnapperai pas et vous adresserai une invitation en bonne et due forme. » ajouta-t-il avec un sourire, chassant par l'humour ses idées noires et cet crainte d'un avenir un peu trop noir à son goût. C'était d'ailleurs étrange. Vingt années durant, à l'étranger, il n'avait pas ressenti cette terreur, cette peur au ventre. Il n'y avait que depuis son retour à Last End que cela se déversait en lui comme un lent poison dans ses veines.

« Howard n'exagère jamais les qualités d'une personne. Il a même tendance à ne voir que l'obscurité en tout un chacun. S'il n'a tari d'éloges à votre sujet... » Et bien, il osait espérer que son jumeau avait été suffisamment bon juge. La scène était encore sensible en son esprit et il était assez certain que s'il avait vécu la même rencontre qu'Howard dans son enfance, il en aurait été tout aussi émerveillé. Il lui adressa un fin sourire avant de délaisser le sujet et de se pencher sur le Cénacle et les réponses qu'elle lui apportait quant à sa relation avec son père. Il aurait du s'attendre à ce genre de réponse. La famille Earl était vue comme une entité extrêmement soudée, sous la tutelle incontestée d'un patriarche. Il aurait été malvenu de la part d'Haley de critiquer ouvertement auprès de Morghann de secrétaire général du Cénacle. Ce qui était dommage, c'était que d'unité, il n'y avait plus et qu'une guerre se profilait à l'horizon, invisible pour tout ceux qui ne portaient pas le nom d'Earl, aussi haut placé puisse-t-on être. Leur château était un mur infranchissable qui cachait leurs secrets, lourds et froids secrets et quand bien même il désirait lui dire combien elle pouvait lui parler librement, il ne le pouvait et se contentait de cette réponse qui, bien que vraie, n'était nullement totale.

Morghann acquiesçait de la tête, se parant d'une compréhension à l'explication qu'elle lui donnait, alors qu'elle ne le satisfaisait pleinement. Ne souhaitant le contraindre plus longuement par sa présence dans ses obligations de maire, il prit poliment congés d'elle, certain, cette fois, de pouvoir rencontrer Anthony Evans.

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