Twist'n'glue

"- Je suis rentré !"

Sous forme humaine, ses sabots n'étaient qu'une paire de chaussures confortables mais déjà bien usées. Elles furent retirées dans l'entrée de la demeure, afin de ne pas répandre davantage d'humidité et de morceaux de terre, d'herbe. Les journées de la monture d'Eurynome étaient souvent dépensées à l'extérieur, dans des errances urbaines ou plus rurales. Aujourd'hui avait été une bonne journée. De l'aube à la mi-journée, le Lac avait été le centre de ses occupations et jeux. Profiter de son corps équin était une félicité qui n'attendait qu'un repas digne de ce nom pour satisfaire totalement l'Each Uisge. Mais… Pas tout de suite, non. Il était trop tôt. C'aurait été prendre des risques par rapport au Secret, suite aux folies récentes de ce maudit Réanimateur. Ses crocs démangeaient, l'envie de mordre, arracher la chair, se faisait de plus en plus pressante. Si en cette fin d'après-midi son départ du Parc avait été un peu précipité, ç'avait principalement été parce qu'observer les humains condamnait à s'imaginer leur chair sous les crocs.
Il avait plu, dehors. La crinière humide de Max collait à son dos, détrempait ses habits. Une sensation très plaisante pour l'enfant de l'Eau. Désormais en chaussettes, sans réaliser que le bas humide de son pantalon permettait de suivre ses traces, l'Each s'avançait, ses traits tirés par une fatigue tout juste appréhendée.

"- Maître ? Sarah ?"

Etrange, personne ne lui avait répondu. Elie était sans doute encore à son travail… Max peinait à comprendre ces histoires d'horaires. Mais maintenant, les pendules n'étaient plus un mystère, les heures devenaient des chiffres, précis. Passant sa tête dans une pièce, son regard d'ambre se plissa légèrement pour arracher des informations à une horloge, s'entraîner. Ses songes partirent vers Sarah, "la dame qui sait". Où pouvait-elle être ?
N'y avait-il qu'une âme vivante ici présente ?
Non, bien sûr que non ! Il y avait Ricin, leur nouveau copain chaton, si justement nommé en raison de la toxicité de son odeur dans certaines… Conditions. Mais Ricin étant un chat, il se moquait de répondre aux appels des autres espèces, et ce d'autant plus s'il était occupé à jouer ou dormir. Hors, ses journées étaient principalement vouées au jeu et à la sieste. Ceci dit… Il pouvait être un bon compagnon pour tromper l'ennui, ce soir. Il avait l'air moins comestible que les humains.
Déposant sa besace dans un coin de couloir, Max commença à fouiller la demeure, à la recherche de l'animal. Le souci de cette bestiole venait principalement de ses dix centimètres et demi de haut et de son squelette mou et élastique. Autrement dit: ce chaton pouvait être n'importe où. Derrière un livre, dans un verre vide, le panier à linge sale, un des fauteuils, devant la cheminée…
Max fouilla. Tout. Enfin, presque. Ses mains regardaient hâtivement un ou deux endroits aléatoires, sans vraiment de méthode. Pas là, pas là… Oh, mais comment s'amuser sans camarade, et lorsque la lecture était encore voilée de mystères ? Symboles sans sémantique, dessins incompréhensibles…

Finalement, Max se porta dans le bureau de Sarah, sans vraiment réfléchir.

"- Minou ? Miiinouminouminou…"

Un mot tout neuf. Max aimait en apprendre de nouveaux, et les utiliser. L'autre jour, ç'avait été "chenapan". Tout dans la maison était devenu "chenapan". C'est que cela sonnait bien, comme mot. Ça finissait en "pan". Aujourd'hui, le mot qui avait interpelé ses petites oreilles d'humain avait été "minou". Visiblement ça servait de surnom aux chatons. Au parc, ledit minou avait eu l'air de mieux reconnaître ce surnom que son véritable nom. Alors Max essayait… Tout en tâtant à l'intérieur des tiroirs du bureau de Sarah. Une odeur nouvelle attira son nez, pourtant ridicule quand il n'avait la forme de deux beaux naseaux autour d'un bout de peau duveteux. Ça sentait… Bizarre. Mais bon. Se redressant un peu, il laissa son nez survoler tout ce qui était posé sur ce bureau. Beaucoup de feuilles, avec des symboles -aucun intérêt-, des crayons, et… Ah, là ! Ce tube étrange. On aurait dit certaines friandises sucrées dont les humains raffolaient. Cela expliquait sans doute cette odeur. L'each laissa trainer sa langue sur le tube de colle.
Du bruit, qui s'approchait. Un sourire éclaira le visage de la monture du démon de ces lieux, alors que, se saisissant du bâton bizarre, jaune, elle sortit de la pièce pour se rendre dans le couloir. Son épaule l'appuya contre le mur. Max léchait allègrement le bâtonnet de colle, tout content. Voyant Sarah venir, quelques bonds le portèrent auprès d'elle.

"- Sarah, Sarah ! Je cherche mon minou. Tu sais où il se trouve ?"

{hrp: désolée j'en suis pas trop fière :/ le temps que je trouve mon rythme je pense, pardon :/ }

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Un froncement de nez, comme la recherche de l'information "colle" sur l'odeur qui se dégageant de ce bâtonnet à la matière étrange et au goût surnaturel. L'Each posa son doigt sur le haut dudit bâtonnet, sur la surface blanche désormais bien lisse. Ce faisant, un début de réponse vint à Sarah, sur le ton le plus naturel du monde, teinté de l'air jovial qui faisait toute la Maxitude de ce Max:

"- Ben... Parce que c'est bon."

À quoi s'était-elle attendue ? Aux apports nutritifs du bâtonnet de colle ? À un plaidoyer sur l'éthique et la morale dans le cadre d'une alimentation non-basée sur l'exploitation animale ? Ce n'était pas du tout le genre de cet animal-là, et son algorithme alimentaire était encore basé sur… Sur… Mh. Si ce n'était ni du bois, ni de la pierre, ni de ces matériaux humains non identifiés, alors c'était mangeable. Mais le bâtonnet de colle était très identifié en tant qu'élément comestible, grâce à son odeur caractéristique des bonnes choses et sa forme de sucrerie. Etrange, d'ailleurs, l'absence de sucre dans le goût de ce machin… Mais pas désagréable.
Son doigt acheva de poker le bâtonnet. Résultat de l'expérience: ça collait moins au doigt que certaines autres sucreries, et cela ne ressemblait pas à la consistance de son poil lorsque ses proies s'y retrouvaient accrochées. Ceci fut exprimé d'un air désinvolte, ramenant sa proie du jour contre sa langue:

"- Ca ne colle pas du tout !"

Autrement dit: inutile de lui cacher ses secrètes folies alimentaires ! Désormais, la monture d'Eurynome savait. On eut dit que Sarah cherchait à n'être pas découverte, à sa façon de chercher à faire passer cet aliment inconnu pour un bâton de colle. Se pouvait-il que le patron désapprouve la présence de ceci en sa demeure ? Pour préserver la santé de Sarah ? Les humains étaient si fragiles… Mais si cette hypothèse était juste, Sarah avait tout intérêt à acheter le silence de l'Each en le laissant finir ce fruit défendu. Each qui commençait à se demander si, pour avoir à être secret, ledit fruit n'était pas tout simplement une de ces drogues faites par les humains. Mais aucun effet n'était ressenti, et pas même un début d'effet addictif. Se pouvait-il que ce ne soit pas à lécher, mais à fumer ?
En tous les cas, Max s'apprêtait à gaiment partir chercher le chaton, lorsque Sarah l'interrompit. Lentement, ses pas firent marche arrière. Lentement, ils le dirigèrent à nouveau devant la porte du bureau de Sarah. Là, cette dernière put contempler l'air profondément surpris de la monture du maître des lieux.

"- ...Sali ?" Sourcils haussés, et sourire comme si on venait de lui conter une plaisanterie un peu sotte, ou que l'on venait de commettre une erreur de débutant. "C'est de l'eau ! Ce n'est pas sale ! C'est merveilleux ! Et tu ne peux pas me dire que c'est sale. J'ai vu Alford 'nettoyer' avec de l'eau, l'autre jour! Je sais que même pour vous ce n'est pas sale !"

L'each eut un rire franc qui dévoila ses crocs d'humain. Sarah croyait pouvoir abuser de son manque d'expérience, mais… Max n'était pas si mauvais ! Et chaque jour qui passait avait son lot d'apprentissage, intégrés ou non dans sa caboche. Ce jour où Alford, serviteur du Maître, avait nettoyé le sol avec de l'eau, avait très bien été intégré, de même que les jeux à base de glissades qui avaient suivi, sur les parties de la demeure où les tapis laissaient place à parquet ou carrelage. Ahlala… Merveilleux souvenirs. Et la mine terrifiée de Ricin lorsqu'à trop grande allure un each sous forme humaine avait glissé vers lui ! Et la mine terrifiée du meuble en face ! Ce dernier n'avait rien eu. Le cactus posé dessus, en revanche…
Mais c'était une autre histoire ! Dans l'immédiat, il y avait plus… Comment dire ? Intéressant ? Fascinant ? Ou urgent ? Il y avait la carotte pour faire tourner Sarah en bourrique. L'each se jeta dans le bureau, brandissant le tube de colle comme un trophée.

"- C'est ceci qui t'intéresse, hein ? C'est parce que je SAIS que tu l'as que tu es de mauvaise humeur ! Le patron saura que tu en avais un. C'est pas très très gentil de lui faire des cachotteries, Sarah !" Sa langue vint sensuellement lécher l'embout, dans une tentative pour narguer la pauvre intendante. "Jusqu'où serais-tu prête à aller pour mon silence ?"

L'each avait levé les yeux au ciel, d'un air qui fleurait bon le manque de conviction, avec un petit "Ça sèchera" marmonné entre ses crocs d'humai, sur un ton si désinvolte qu'il était impossible de douter du manque de souci que lui causait cette histoire de tapis. L'eau en avait détrempé d'autres, et ils ne s'en portaient pas plus mal ! Le maître ne verrait rien, cela ne l'inquiétait pas le moins du monde.

C'avait été à son tour de savourer le doux sentiment de la victoire lorsque, se jetant vers le bureau de Sarah, y prenant appui, sa voix avait triomphalement énoncé ce secret que Sarah essayait de garder. Un sourire presque carnassier passa sur ses lèvres lorsque Sarah écarquilla les yeux. Ses quelques connaissances en expressions humains lui avaient permis de reconnaître que dans la mine de l'intendante, il n'y avait rien de moins que l'horreur d'être découverte, et la surprise que tout se passa ainsi ! Qui eut cru que ce serait l'innocente monture d'Eurynome qui viendrait à bout de ses manigances obscures, ses pulsions autodestructrices de faible petite âme en péril ? Oui, heureusement que l'each était là. Ce tube amené au patron allait bien vite permettre à ce dernier de remettre Sarah sur le droit chemin…
Plissant à son tour les yeux, Max sut à la riposte de Sarah que cette dernière refusait de s'avouer vaincue. Elle ne l'aurait pas ainsi. Entre eux deux, l'each en était certain, l'oscar de la persévérance irait à la personne la plus proche des quadrupèdes. La monture s'apprêtait donc à tenir le cap et répondre avec panache, lorsqu'un mouvement brusque de Sarah propulsa sa silhouette dégingandée en arrière, avec un couinement de surprise. Dès que le son de sa voix lui parvint, plus rauque qu'à l'accoutumée et beaucoup moins compréhensible, Max sut ce qu'il se passait. Et zut, un sort… Avait-elle seulement le droit de s'en prendre à lui ?

Une vive douleur au niveau de la mâchoire, une sensation chaude et humide sur le bout de son museau. L'each eut un fort grognement de mécontentement lorsqu'enfin sa compréhension vint vers les événements qui venaient de se dérouler. À l'humaine qui paraissait ravie, ses yeux jetèrent un regard obscur et pourtant foudroyant de colère. Pas que Max soit mauvais joueur, non, pas du tout… Mais la défaite lui était très pénible. À vrai dire, elle n'était pas admise dans certains contextes. Celui-là en faisant partie.
Brusquement, la créature fut à nouveau sur ses pattes. S'il n'y avait eu l'aura du maître pour protéger l'intégrité physique de Sarah, nul doute que cette dernière aurait fini proche, très proche de la baignoire, et seul son foie y aurait survécu. Et nul doute que si sa bouche n'avait pas été encombrée, Max aurait sorti les crocs. La frustration ne faisait qu'alimenter sa colère, laquelle fusa sous forme d'un cri à peine retenu:

"- Uh ffferais mieux te 'e 'é'oller ffa 'out 'e ffuite !  Fffi 'u 'eux 'ouer a'ec la ma'ie, y a 'es 'a'pis à éffer !"

Suivi de quelques tentatives de menaces comme quoi le maître n'allait pas être content du tout si, rentrant, il trouvait sa monture ainsi contrainte. Mais au milieu d'une de ses menaces, l'each s'arrêta. Tendant la main vers Sarah pour lui faire signe de ne pas intervenir, son regard se posa sur le bâtonnet de "colle", miraculeusement resté au creux de ses poings rendus veineux par la crispation. Lentement, la mine intriguée, ledit point porta la colle jusqu'à sa langue.
L'effet dut en être surprenant. En tout cas, pour les quadrupèdes en humain métamorphosés, ce devait être une expérience assez spéciale. L'each ouvrit un moment de grands yeux, avant d'éclater de rire, autant que faire se pouvait dans ces conditions. Un rire aux larmes, un rire qui menaça son équilibre au point où son genou rejoignit le sol, un point où il était bon que sa langue soit collée à son nez, sans quoi les postillons aurait sans doute volé. Lorsque le rire, clair et pur, se tarit enfin, Max se sentait définitivement mieux. Ses papattes quittèrent les côtes qu'elles avaient agrippées, et, lentement, la monture d'Eurynome s'approcha de Sarah. Pacifiste, désormais, ou presque.

"- A'ez, 'Arah, 'i'ère-moi…"

Voilà qui était bien plus doux et agréable. Bien loin de la créature furieuse qui avait failli la dévorer un instant plus tôt. L'each offrit à Sarah sa meilleure bouille d'ange, pour la convaincre plus facilement. Mais va faire une bouille d'ange avec une langue collée sur le nez…

"- Ogmhnmnghr."

Ce fut plus ou moins le grognement qui s'échappa de Max, après un instant de réflexion, après le discours que lui offrait Sarah. Un grognement de résignation, parce que malgré son entêtement, l'évidence s'imposait… L'urgence, aussi. Sa langue se faisait de plus en plus sèche, sa bouche était douloureuse. Rester ainsi trop longtemps le serait d'autant plus. Face à cet acte de magie, il n'était  pas cent ou mille solutions, et molester la pauvre Sarah jusqu'à ce que la raison lui revienne n'était assurément pas une méthode valable. Papa démon serait sans doute très mécontent s'il revenait et voyait l'état de son intendante… Laquelle serait également fort peu à son aise pour quelque sort libérateur de nez que ce soit.

D'un pas rageur, l'Each sortit de la pièce. Sécher les tapis… Et comment ça se séchait ces cochonneries, hein ? Non parce que déjà que ça ne se lavait pas comme le reste de la plèbe des tissus… À tous les coups il y avait également un protocole à respecter pour leur séchage. Marmonnements, grognements… Ce n'était pas là des soucis d'Each Uisge ! Ce n'étaient pas là des soucis pour la noble monture du démon des morts ! C'étaient des soucis pour… Pour…
Pour Alford. Max en fut certain, dès que la silhouette du domestique se dessina dans un angle de couloir. Aussitôt, une main sur l'épaule, et de grands gestes pour accompagner sa diction complexe. Sé-cher-les-ta-pis ! Ce n'était pourtant pas compliqué ! Si l'on exceptait cette langue qui changeait les consommes en une sorte de "chpfff" inélégant. Le domestique eut un très bref instant l'air surpris, et fit de son mieux pour interpréter les dire de la monture de la maison, avant de se mettre au travail. Ah, il était bien ce petit fifi ! Max lui donnait rarement d'instructions, sachant très bien se débrouiller seul dans ce qui l'intéressait. Mais lorsqu'instructions il y avait cette grande asperge était toujours toute de dévotion, c'était bien plaisant !

Profitant de cette libération, le coeur plus guilleret, Max avait pris la direction de la salle de bain. Le sèche-cheveux… Oui, on lui avait appris à utiliser ces choses. Leur seule présence avait pourtant de quoi répugner plus d'un each. Mais là… Il le fallait. Pour le bien de l'humanité, v'voyez ? Enfin, surtout pour le bien de sa langue. Branchement un peu maladroit, démarrage de l'engin infernal… Bon, il fallait l'admettre: c'était très rigolo de faire voler ses cheveux dans un sens, puis dans un autre, usant du vent produit par cet objet. Très vite Max perdit l'objectif initial de vue. Si bien que dix minutes plus tard, l'objet infernal était rendu dans le couloir, à sécher les feuilles d'une pauvre plante qui n'avait rien demandé. Bien sûr, un peu de terre et de feuilles s'envolaient. Mais qui s'en souciait ? Max mettait sa tête entre les feuilles, pour le plaisir d'avoir une crinière végétale, et la sentir remuer sous le vent de l'appareil…

Quelques instants plus tard encore, son museau débarquait à nouveau dans le bureau de Sarah. suivit du reste de son corps, naturellement. Et précédé de sa langue. Pas plus bête qu'un autre, l'each avait retiré les feuilles qui s'étaient glissées dans ses cheveux… Du moins, celles qui avaient été visibles dans le miroir. Donc peut-être pas celles derrière son crâne, certes… Mais c'était là un détail.

"- Chlfa'ah ?  Chf'est chfec !"

Autrement dit "sarah, c'est sec, j'ai accompli mon devoir, au nom des liens qui nous unissent et du contrat tacite que tu m'as imposé, pourrais-tu s'il-te-plait libérer l'avant de mon visage ?". Le tout accompagné d'un léger mouvement de tête et d'un grand regard plein de promesses d'innocence. C'est qu'avec ces histoires, son corps et ses habits avaient vraiment séché ! Sa langue aussi, et malgré un bref passage sous le lavabo pour tenter d'améliorer cela. Par contre, plus de traces du tube de colle, lequel devait soigneusement être rangé dans la chambre de Max...
Soudain, la libération, bienvenue, merveilleuse, si douce à ressentir ! Max mastiqua un peu de vide, pour le plaisir de sentir sa langue à sa place, entre ses dents. Pas longtemps, néanmoins. Car une question lui brûlait les lèvres, et seule Sarah pouvait y répondre:

"- Dis, Sarah, tu vas aux sabbats ?"

Son cinquième mari ? Wah ! Soit Sarah avait beaucoup d'amour à offrir, soit elle choisissait des maris très vieux et très riches, à en croire les histoires humaines et les quelques bribes de leçons que Max savait sur ce peuple. Mais tout de même, Sarah était très forte ! Généralement, les humains faisaient ça une fois, deux au maximum, non ? Une vague histoire de règles sociales, de difficulté à se lier… C'était bien plus simple chez les eachs, où avoir cinq partenaires n'avait rien d'exceptionnel. Mais en rien cela n'empêchait Max de se laisser surprendre par les autres espèces lorsqu'elles battaient leurs records.
Du coup, tout à ses réflexions sur ce qui avait bien pu advenir des maris de Sarah (peut-être les avait-elle mangé, qui sait), Max n'eut pas le temps de répondre à sa question. Déjà la sorcière le raillait. Un claquement de crocs rageur accueillit ses remarques, suivi de remarques acides rappelant que Sarah n'avait pas à parler ainsi des choix faits par Eurynome. Des eachs de son temps, la monture du démon de la mort était le plus rapide ! En combat, en voyage, personne ne savait la surpasser ! En noyade d'humains, elle n'avait pas son pareil ! Et par Lucifer, est-ce qu'elle pouvait prétendre savoir se rendre aux enfers et en revenir ? Nan ! Alors oui, certains aspects de ce monde d'incapables lui échappaient… Mais Max était bien plus doué et habile que ce qu'elle pouvait imaginer ! La noble monture d'Eurynome, bon sang !

Mais parle encore et parle toujours. Sarah avait pris ses petites affaires pour finalement sortir du bureau. Max l'avait suivie, l'orage et la colère dans sa tête, et les arguments à la bouche, jusqu'à la salle de bain, où le peu de décence qu'on lui avait inculquée avait permis à Sarah de ne pas se retrouver nue devant la monture du patron. Parfait. Maintenant l'each était d'humeur massacrante, et la mâchoire pleine de frustrations qui n'avaient pu se passer sur quoi que ce soit. Profitant que l'eau n'était pas loin, Max reprit sa forme originelle, renâclant, émettant un son sourd de souffle agacé, avant de se diriger vers sa chambre où, sans doute, ses crocs trouveraient de quoi mordre parmi les "jouets" divers et variés amassés au cours de ses pérégrinations en terres humains. "Pas doué"… S'il n'y avait eu Eurynome, Sarah aurait été retrouvée noyée dans son bain pour un tel affront ! Pas que Max soit particulièrement fier ou arrogant, nooon, loin de là. Mais…  Certaines insultes ne pouvaient s'accepter.
Après avoir savamment fait la peau d'un sympathique jouet en bois pourtant bien solide à l'origine, Max se sentait un peu mieux. Toujours les nerfs à vif, mais l'humeur nettement moins massacrante. Un long soupir souleva puis affaissa lentement ses côtes. Le bout de son museau vint agiter quelques pages d'un livre illustré. Sincèrement ? Oui, les sabbats l'intriguaient. Oui, son imagination partait volontiers vers un futur où, à quatre ou deux pattes, sa présence se mêlait à celles des sorciers. D'autant plus que, désormais, ses amis sorciers commençaient à être nombreux ! Et ça serait, assurément, l'occasion de rencontrer du monde… Et peut-être craquer pour une ou deux proies non-invitées à la fête, à faire disparaitre ? Allongé, l'encolure basse, Max réfléchissait…

Quelques instants plus tard, ses sabots essayaient de se faire aussi discrets que possible sur le sol, visant les tapis pour amortir leur claquement. Devant la porte de la salle de bain, l'each reprit forme humaine. Ouh. C'était toujours surprenant de retrouver cette forme-là, petite, faible, mais légère. Ces muscles différents, ces perceptions différentes… Bref. Timidement, presque totalement silencieusement, Max poussa la porte. Sarah était dans l'eau, à se prélasser, visiblement heureux. Peut-être serait-elle dans de meilleures dispositions. Qu'il était bon de voir que la Grande Mère savait prendre soin des chouchoux de ses enfants…
À pas de loup, Max se glissa près de la baignoire. S'asseyant à terre, ce fut presque inconsciemment que sa main rejoignit la surface de l'eau, ne sachant résister à son appel. Innocemment, très doucement et sans penser que peut-être Sarah n'avait vu ni entendu sa présence, sa voix se glissa entre eux:

"- Et si je te rends un service ? Tu voudras bien me laisser t'accompagner au sabbat ? Tu n'aurais qu'à laisser ma surveillance à un de tes amis, ensuite ?"

Papillonnage d'yeux, et bouille adorable. Elle n'allait quand même pas refuser, alors que tant d'efforts étaient déployés pour lui plaire…!

Max eut un froncement de nez. Ca sentait l'entourloupe, quand même, cette question quant aux limites. La première pensée de Max partit au tube de colle. Hors de question de le lui rendre, elle pouvait se gratter ! Mais à part ce tube de colle, les limites de Max… Etaient inconnues au bataillon.
Le visage de Sarah se rapprocha dangereusement du sien. L'each eut un mouvement de tête difficilement compréhensible, qui était dans les faits un claquement de crocs retenu. On n'avait pas idée, quand on était une bestiole comestible, de s'approcher si près de la gueule de son prédateur ! Ladite gueule se tordit en une mine mécontente. C'était rarement agréable d'avoir face à soi quelqu'un qui jouait avec ses instincts. Cette foutue sorcière était manipulatrice… Elle n'avait pas à l'être avec ses alliés. Si Max avait réagi normalement, elle aurait eu plus encore de lui raisons de lui jeter un vil sort à la figure… Et si ses crocs étaient parvenus à tailler la chair, son maître aurait sans doute été très très mécontent. Peut-être même au point où… Non, Max ne voulait pas l'imaginer.

Aussi étrange que cela puisse paraître, Max resta strictement immobile devant la proposition de Sarah. Pas vraiment de la réflexion, quand bien même ç'aurait pu l'être. Là, elle lui proposait un dilemme, le difficile choix entre sa liberté et ses envies… Enfin, "difficile". Pour un humain, sans doute. Max mettait toujours sa liberté en priorité, la réponse serait venue d'elle-même. Mais là, c'était plutôt la surprise qui maintenait les lèvres de l'each closes. Lentement, très lentement, Max se redressa, quittant à regrets le contact de l'eau. Son regard sur Sarah s'était fait accusateur, et empli d'une grande déception.

"- Je ne te croyais pas comme ça, Sarah." Sa voix avait un son un peu plus grave, tout à coup. "Par chance, je t'apprécie, et je n'irai pas tout rapporter à Eurynome. Mais ce que tu fais là… Est inadmissible. Tu le sais ?"

Ses mains s'appuyèrent au rebord de la baignoire. L'each se retrouva penché au-dessus de Sarah.

"- Je n'ai qu'une seule, et unique allégeance. Elle va à Eurynome. Ce que tu me demandes là, c'est pire que de l'infidélité. C'est de la trahison. Si tu veux ma bride, il faudra l'arracher à mon maître. Mais si tu fais cela… Sache que je ferai mon possible pour me délivrer." Se penchant davantage, sa voix se fit murmure: "Et la légende dit qu'en ce cas, je te noierai, et je te mangerai." C'avait été dit avec une grande douceur, presque couverte de miel. C'est que la perspective de manger Sarah lui plaisait d'autant plus qu'elle l'avait frustré un instant plus tôt. "Prends-le comme un compliment, tu es très appétissante." S'écartant, l'each prit le chemin de la sortie, la tête un peu basse, sous l'effet de la tristesse qui revenait. Sa voix retrouva sa gravité: "Je n'irai pas au sabbat. Du moins, pas avec toi. Profite-en bien." Quelle peine… Mais, bah. Il suffisait d'un nouveau plan, sans doute, et d'un nouvel allié. Dommage que ledit allié ne puisse être également affidé d'Eurynome… Sarah était si différente de lui ! Leurs jeux n'étaient pas les mêmes, malgré leur commun intérêt.
Peut-être que Max bouderait un peu, avant d'oublier cette histoire. En attendant, c'était avec un grand soin que, discrètement, dans le dos de Sarah, une main discrète avait rouvert la sortie d'eau du bain.