[METAMORPHE] Lou Faust - Lupa

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Farouche. Tel était la description qu'aurait pu faire le berger lorsqu'il croisa le regard de cette louve. La main tendue, il s'accroupit le plus bas possible, tentant d'apaiser la bête en face de lui. Il s'était introduit dans cette grotte parce qu'il avait cru entendre des pleures de nouveau-nés, et quelle ne fut pas sa surprise de les voir allongés contre une louve ! Celle-ci semblait les considérer comme ses petits, peut-être venait-elle de perdre les siens. Mais une louve ne pouvait élever des hommes, il ne pouvait les laisser ici.

- Louve... s'adressa Faustulus à la mère qui grognait à la moindre de ses tentatives de l'approcher. Ton lait les a nourri, mais j'ai un toit pour les abriter et un feu pour les réchauffer. Tes enfants n'ont pas de pelage, ils mourront loin des hommes.

Le poil hérissé, Lupa refusait de se calmer. Cet humain en voulait à ses petits, il était hors de question de le laisser s'en approcher. Son instinct avait beau lui dire que l'humain ne ferait pas de mal à ses semblables, elle se refusait à le voir les emmener loin d'elle. C'était elle qui les avait sauvé, c'était elle leur mère. Où ils iraient, elle irait aussi.

Le berger cilla face à ce qu'il voyait. En un instant, son pelage laissa place à une peau rose, ses griffes se transformèrent en doigts et son museau disparu pour faire apparaitre un visage. En un instant, la louve devint femme. Une belle femme, bien que sale et nue, le regard portant toujours la même sauvagerie animale. À quatre pattes sur le sol, elle prit les deux jumeaux dans ses bras pour les serrer contre elle d'un air protecteur.

- Miens... articula-t-elle.

Et face à la non-réaction de l'humain, elle se leva et commença à se diriger vers la sortie de la grotte, ne laissant au berger que le choix de la suivre. Il enleva alors sa cape pour, sans gestes brusque et restant éloigné des nourrissons, en couvrir les épaules de la femme-louve... Lupa. C'est ainsi que Faustulus le berger prit femme et enfants. C'est ainsi que, au cœur des Septem Montes, futurs fondations de Rome, naquit la légende de Romulus et Remus, les jumeaux sauvés par une louve et élevés par une femme.


Doucement, Lupa ouvrit les yeux, le monde encore flou se teinta soudain de rouge. Une douleur terrible résonnait dans son crâne. Le poing serré qu'elle finit par distinguer lorsqu'il revint s'abattre sur sa pommette acheva de la ramener à la réalité. Un grondement vibra dans sa gorge tandis qu'elle releva enfin la tête pour jeter un regard insoumis à son tortionnaire et que, d'un geste vif, sa langue alla recueillir le filet de sans coulant le long de sa joue.

L'homme hésita. Il savait que le comportement des femmes était différent de celui des hommes. Elles étaient plus douces, naturellement enclines à obéir aux hommes. Jamais encore il n'avait vu ce regard sur le visage d'une des filles du village. Jamais encore elles ne s'étaient mises à grogner comme un animal, ou encore boire leurs propres sangs. Celle-ci... Cette... créature abjecte... Ce n'était pas une femme. C'était une aberration.

- Immonde créature infernale... cracha-le forgeron avec haine avant de se saisir de l'un de ses outils. Avant qu'on ne te pende, je jure devant Dieu que je t'aurais fait pleurer.

Un sourire naquit sur les lèvres de la louve et un rire s'en échappa. Elle appuya sa tête sur la colonne de bois à laquelle on l'avait attaché à même le sol avant de la rouer de coups. Tout son corps lui faisait mal et vu sa difficulté respirer, elle devait avoir certaines côtes cassées. Et pourtant, c'est un regard triomphant qu'elle adressa à l'homme terrorisé en face d'elle. Le ciel qu'elle pouvait apercevoir aux ouvertures de la forge avait revêtu son manteau rougeoyant du crépuscule, elle avait réussi. Il était l'heure.

Redressée du mieux qu'elle pouvait, tirant sur ses liens, elle se mit à hurler vers le ciel enflammé du couchant. Bientôt, son hurlement fut accompagné d'autres qui emplirent l'air glacé du village. Ils étaient là ! Les siens. Ses frères ! Elle s'était fait prendre pour leur permettre de mettre les plus faibles de la meute en sécurité. Rares avaient été celles à voir la louve avant l'humaine. Mais eux étaient revenus... pour elle. Les hurlements des loups furent alors remplacés par les cris terrifiés des villageois et la neige immaculée se souilla de sang chaud.

Plusieurs jours après, lorsqu'un marchand itinérant arriva aux portes du village éloigné, il ne put que faire demi-tour face aux débris de bois noir, trahissant le feu de la forge qui avait déchaîné l'enfer dans cet endroit. S'il avait pris la peine de fouiller les lieux à la recherche de marchandise à récupérer, il aurait pu se rendre compte qu'il ne restait aucune trace de corps ou de bétail. L'hiver était rude... Les proies se faisant rares, la faim se faisait... tenace...


La porte s'ouvrit, laissant entrer la jeune femme très peu essoufflée malgré la course qu'elle venait de faire dans les couloirs. D'un pas pressé, elle alla rejoindre son bureau pour faire face au jeune homme qui l'y attendait depuis environ une dizaine de minutes. Lupa n'aimait pas être en retard, même de quelques minutes. Mais depuis le début du mois de mars, elle et le reste des agents du Cénacle n'avaient pas cessé de courir dans tous les sens.

Avec la menace prononcée par le Réanimateur, les membres voulaient pallier à toutes les éventualités, si bien que, de son côté, elle enchaînait les entretiens avec ses pupilles. C'était justement l'une d'entre elle qui lui faisait face. Un loup-garou maudit de la liste grise du Cénacle à cause d'anciens événements de sa jeunesse. Un jeune tiraillé entre sa part humaine et animale, entre sa raison et ses pulsions, comme elle.

- Tu attends depuis longtemps ? demanda-t-elle en guise de bonjour.

- Non, vous en faites pas, Miss Faust. C'est pas grave.

- D'accord... Très bien ! Comment tu vas ?

Lupa ne put réprimer un sourire en entendant sa réponse. C'était pour ce genre de chose qu'elle aimait sa tâche au sein du Cénacle. Lors de son premier entretien avec lui, c'était une victoire si elle arrivait à lui arracher une phrase. Convaincu d'être rejeté et condamné par l'Envers, il avait à présent regagné son assurance et pouvait penser à son futur sans crainte. Il incarnait ces petites victoires au milieu des impasses et tentatives vaines qu'elle subissait continuellement.

Au cours des siècles, elle avait vu des cycles de violence se répéter, créant toujours plus d'orphelins laissé à l'abandon. Elle avait alors décidé de consacrer l'éternité qui lui restait à vivre non plus à des causes éphémères, mais à eux, les oubliés, les laissés-pour-compte... Parce que depuis la nuit des temps, alors qu'elle foulait encore ce monde à quatre pattes, elle prenait en charge des enfants abandonnés pour les guider vers le meilleur d'eux-mêmes. Elle était juste... faite pour ça.