La lettre était là, sur son bureau, depuis quelques jours déjà. Il l’avait lue. Plus d’une fois sans trouver les mots pour y répondre. Y en avait-il seulement ? Pouvait-il mettre un nom à ses sentiments paradoxaux ? Le chaos. Mais s’il lui parlait de chaos, il allait l’effrayer, là où savourait l’étreinte tant poison que délivrance du Chaos.
« 25 février 2016,
Frieda, »
Il se mordit la langue. Quelle cruelle réincarnation, quel travail affreux des anges, douce torture à laquelle il succombait. Les mots lui venaient en allemand, il le réprimait, et se retrouvait bloqué dans son écriture, comme si la langue anglaise était un nouvel obstacle. Son corps se tendait, il inspirait, se concentrait.
« Je ne suis pas en colère contre toi. Je ne te demande pas de comprendre, cela te dépassera probablement. Envisagerais-tu cela sous un angle plus grand ? Ce sont les anges que je hais. Je les hais de t’avoir mis sur ma route, de t’avoir fait renaître quand j’en avais besoin, quand j’ai pu m’attacher à ce que tu étais. Ils savaient qu’un jour tu me le dirais, ton nom. Ton vrai nom. Et que cela me ferait mal autant que le mien t’en ferait. »
Elle le haïrait. Si elle savait… S’il venait à lui souffler aussi innocemment qu’elle l’avait fait, probablement fuirait-elle, et probablement était-ce ce qu’il y avait de mieux à faire pour elle. C’était égoïste de sa part que de la retenir et de s’attacher à ce qu’ils étaient en dehors de leur combats respectifs. Ils étaient des amis, mais sur le front. Sur sa lettre alors, il n’écrivait nullement son nom honni.
« Il n’y a rien que je puisse te pardonner. Que tu le veuilles ou non, que tu le vois ou non, les anges ne réincarnent jamais sans raison. Nous sommes des pions sur l’échiquier du Vatican, des pièces à jouer, à placer, à leur guise. La seule chose qui compte pour eux, c’est de gagner la grande partie. Celle qu’ils mènent depuis des milliers d’années. Celle où l’Envers disparaît au profit de l’Humanité. Celle où la magie est détruite, mon monde avec. Je ne fais que me battre pour les miens. Je l’ai toujours fait, dans cette vie ou la précédente. Je me suis battu pour les païens et je me battrai encore s’il le faut, non pas parce que je hais les humains, mais parce que j’aime les miens. La seule raison pour laquelle humanité pourrait disparaître, c’est parce qu’elle est le peuple élu de Dieu, le peuple choisi pour être nos ennemis. Le peuple dont nous devons nous cacher, le peuple que nous devons combattre. »
Il ne haïssait pas les humains. Le simple fait qu’il se soit attaché à elle le prouvait sûrement. On ne lui laissait pas le choix, c’était tuer ou mourir. Il espérait une autres issues, mais c’était celle que leur avait imposé les anges.
« Je t’aime Nora, je t’aime comme la petite sœur que j’ai prise sous mon aile lorsque tu étais plus jeune, celle que tu es par surcroît aujourd’hui. Je t’adorerai encore bien des années, si tu me le permets. »
Quand bien même il en souffrirait que de la regarder chaque jour, à taire son propre nom pour ne pas lui faire du mal et ce, en sachant pertinemment, que tôt ou tard, elle l’apprendrait. Le plus tard possible. Le plus tard…
« Si je t’ai fait venir ici, c’est parce qu’il n’y a qu’ici que je pourrais te protéger. Ce qui va se passer impactera le monde entier. Qu’importe où tu seras, cela va trembler. Ici était le seul endroit où il me serait possible de veiller sur toi.
Nikolaïs. »
Il déglutit, ferme la lettre et la fait envoyer avant que l’envie ne le prenne de la déchirer.